Aujourd’hui paradis des surfeurs et reine des plages du Pays Basque, Biarritz doit une partie de ses lettres de noblesse à l’impératrice Eugénie. Amoureuse de la cité balnéaire, « l’Espagnole » aventurière en a façonné le nom, la réputation et même jusqu’à l’architecture. Retour en histoire sur une aventure impériale.
Le ciel est exsangue. Le vent couche toute ambition. L’Atlantique fait rugir ses plus belles vagues tandis que leur écume blanchâtre se fracasse violemment sur les bouquets d’épines rocheuses. Ce matin, comme tant d’autres, Biarritz est de mauvaise humeur. Comme pour rappeler aux imprudents qu’ici, l’Océan règne en maître absolu. Fort heureusement, il s’agit d’une fureur éphémère. Quelques tours de cadran suffisent à remettre lumières et couleurs sur « la reine des plages, la plage des rois ».
Pour en apprécier sa beauté vertigineuse, il faut avoir le courage de gravir les 248 marches qui conduisent au sommet du phare de pointe Saint-Martin, érigé entre 1830 et 1832, culminant à près de 73 mètres au-dessus de la mer. De cet escarpement rocheux, il est possible de balayer du regard le Bizkaiko Golkoa, le Golfe de Gascogne en basque. En gardant le port altier on distingue au loin, dans l’horizon embruiné, la silhouette massive des Pyrénées ibériques, révélant la proximité toute voisine de l’Espagne, dont l’une de ses prestigieuses enfants a plus que toute autre influé sur le destin de l’ancien port baleinier.
Quand il n’y a plus assez de cétacés
L’œil vif, il est aux aguets. Confortablement installé sur le promontoire de l’Atalaye, un guetteur scrute l’horizon. Sa mission est simple : repérer le moindre jet, la moindre nageoire, enfin, une quelconque trace de baleine. Dès qu’un cétacé n’avance plus masqué, les hommes du bas embarquent frénétiquement à sa poursuite sur les baleinières qui mouillent alors paisiblement dans le Vieux-Port. La dernière baleine fut harponnée en 1686. Biarritz, village de pêcheurs, perd alors la principale manne financière qui faisait son bonheur. Les marins désertent la côte basque embarquant sur des bateaux corsaires, allant voir si l’eau n’est pas plus bleue en Irlande ou à Terre-Neuve.
A court de baleines, l’océan à Biarritz a toujours un petit quelque chose de particulier à offrir, comme le dit si bien la devise de ses armoiries « J’ai pour moi les vents, les astres et la mer ».Se développent alors au XVIIème et XVIIIème siècles, les bains de mer. Initialement réservés à un usage strictement « curatif », des médecins bayonnais faisaient baigner des malades mentaux, ces bains de mer auxquels on prêtait des vertus extraordinaires commencèrent à attirer toute la haute société du Vieux-Continent. Biarritz et la Côte basque sont appréciés de longue date. Napoléon Ier s’y baigne en 1808. Sous la Restauration, la duchesse de Berry -Madame-, mère du jeune duc de Bordeaux, profita de son voyage dans le Sud-Ouest lors de l’été 1828, pour y faire escale. Conquis par la cité de l’Adour, Victor Hugo écrit en 1843 : « Je ne sache pas d’endroit plus charmant et plus magnifique que Biarritz » mais l’écrivain craint que le petit village de pêcheurs ne « devienne à la mode » et prédit que « ce jour arrivera vite ! ». En effet, la destinée de Biarritz bascule définitivement dans les années 1850, lorsque qu’un couple impérial décide d’en faire officiellement son lieu de villégiature estival.
La mémoire qui colle aux basques
Un visage poupin éclairé par des yeux émerveillés et un corps habité d’une agitation toute enfantine. En 1835, une petite ibérique du haut de ses neuf petits printemps découvre la ville de Biarritz, en compagnie de sa mère. Le fracas des vagues, les langues de sables, l’appel du large et les paysages écorchés par le vent ne quitteront plus jamais sa jeune mémoire. Fille d’un noble madrilène, comte de Teba, et d’une aristocrate irlandaise, Eugénie de Montijo, in extenso María Eugenia de Guzman Palafox y Portocarrero y Kirkpatrick de Closbourn, devient une jeune femme libre, dynamique et audacieuse. Elle ravit les cœurs, surtout celui de Louis-Napoléon Bonaparte aka Napoléon III, qui l’épousera à Paris en 1853 pour faire d’elle officiellement, l’Impératrice Eugénie.
L’été suivant l’union impériale, le jeune couple convole en train puis en diligence sur la côte basque. Eugénie, toujours hantée par ses jeunes excursions biarrotes, a convaincu son Empereur de mari de s’y rendre. L’Impératrice s’y sentait formidablement bien ; il est vrai qu’elle n’était qu’à quelques encablures de son pays natal et qu’elle retrouvait là un peu de l’ambiance de ses années d’enfance. Augustin Filon, précepteur du prince impérial, précise que c’était le « lieu du monde où elle était le plus vraiment elle-même ».
Pour ces vacances d’amoureux absolument rien n’est prévu pour recevoir le duo impérial, mais Jules Labat, maire de Bayonne de son état, leur prête sa demeure, la villa Gramont, dont on peut toujours voir le parc sur les hauteurs de Biarritz, aux pieds de l’église Saint-Martin.
« Leurs Majestés prennent chaque matin un bain à la mer » raconte la Gazette. « Le calme et le repos dont elles jouissent commencent à produire les effets que tous observent avec bonheur ». Pendant près d’un mois et demi, ce précurseur de la presse people se fait l’écho de chaque mouvement du couple. Le 31 juillet, à 9 heures, les biarrots se pressent sur les rives de la côte du Moulin pour assister au premier bain d’Eugénie avec sa baigneuse attitrée, Marie Morin. Curieux spectacle que ces fines dentelles et ces beaux jupons peu à peu éclaboussés par l’écume et les vagues.
Biarritz et périls
Prosper Mérimée, un proche du couple, y passa plusieurs étés et se plaignit du bruit et du vent qui y régnaient. Il est vrai que « la Côte des Fous », surnommée ainsi en raison des puissants vents qui la balayaient, n’était pas de tout repos pour les marins et les baigneurs. L’Impératrice, elle, se moquait des dangers de l’océan, au contraire, elle se plaisait à défier les éléments. Se considérant comme la « Mère des marins », son audace ne manquait pas d’inquiéter l’Empereur. Plusieurs de ses aventures hasardeuses à Fontarabie ou à Saint-Jean-de-Luz furent près de mal finir. Elle qui goûte depuis l’enfance aux bains de mer toniques ne s’imagine pas y renoncer un seul instant. La légende raconte même qu’en juillet 1850, deux vigoureux guides-baigneurs basques, Arragory et Iturybarria, sauvèrent de peu la future Impératrice d’une imprudente baignade.
Vagues de touristes et pluie d’étoiles
« On assure que Leurs Majestés, séduites par les beautés de notre ciel, par la position si pittoresque de Biarritz, seraient dans l’intention d’acheter ou de faire construire une villa sur le bord de la mer. La réalisation de ce bruit serait un bonheur pour notre pays ». En ce 29 juillet 1854, Le Messager de Bayonne, journal des Basses-Pyrénées et des Landes, se fait l’écho d’une rumeur d’importance : l’Empereur Napoléon III serait sur le point de faire édifier une bâtisse en l’honneur de son épouse. Après avoir acquis 18 hectares de dunes face à la mer, le prince-président réussit à faire ériger l’opulente Villa Eugénie en moins d’un an.
La demeure, qui représente un E majuscule vu du ciel, idéalement déposée sur un promontoire à une trentaine de mètres en retrait de la mer, avait les mêmes traits « qu’une bonbonnière bâtie en pierre et en briques », selon le docteur Paul-Joseph Barthez, médecin attitré du prince impérial et familier des lieux. Les jours de mauvais temps, les vagues venaient parfois lécher jusqu’aux bords de la terrasse. Le couple impérial y séjourna chaque fin d’été, de quatre à six semaines entre 1854 et 1868. Ces vacances marquent le début de la brillante et festive vie biarrote. Le récurrent séjour impérial entraîne dans son sillage chaque été bien des touristes, et notamment une kyrielle d’étrangers, russes, britanniques, américains, polonais et surtout des espagnols, mais aussi tout ce que le Vieux-Continent compte de têtes couronnées. La Reine Isabelle d’Espagne, le Roi de Wurtemberg, Léopold II de Belgique, les Princes de Metternich se retrouvent les pieds dans l’eau et l’esprit léger.
Après Dieppe, Trouville et la toute la côte normande, Biarritz connut à son tour les « trains de plaisir » qui permettaient à toute la haute société parisienne de gagner les lieux de villégiature. Fêtes interminables, parties de cartes, feux d’artifices, courses de taureaux, baignades, sorties en mer et même randonnées jusqu’à la Rhune, Biarritz qui voit les vagues déferler et les étoiles pleuvoir dans ses rues, grandit sous l’impulsion de l’Impératrice Eugénie. Puis, passent les années folles, le dernier séjour impérial eut lieu en 1868 et, après la chute du régime, l’ex-Impératrice, la mort dans l’âme, se résout à vendre sa Villa en 1880, laquelle brûle tragiquement en 1903, avant d’être reconstruite sept ans plus tard et d’être transformée et rebaptisée Hôtel du Palais, la Villa Eugénie ne connut, jamais au grand jamais, un destin ordinaire. Le couple aimait tellement la cité biarrote que l’on raconte que l’Empereur avait prévu d’abdiquer en 1874 en faveur de son fils et de se retirer tranquillement au Pays Basque, traversant l’hiver à Pau et l’été à Biarritz. Le destin en décida autrement. L’attrait des nobles pour la petite cité balnéaire ne s’arrêta pas pour autant avec la chute du Second Empire. Ainsi la princesse Frederika de Hanovre s’installa dans la ville et la reine Nathalie de Serbie y séjourna. Quant à la famille royale britannique, elle en fit son lieu de villégiature privilégié.
Aujourd’hui, devenue une des capitales mondiales du surf et ville éminemment sportive, Biarritz a gardé un précieux héritage impérial et noble. Ville musée, la cité de l’Adour marie les références d’hier avec les influences contemporaines. Les nombreux sites et musées de la ville mettent en avant sa richesse culturelle marquée à jamais par le passage de Napoléon III et des grands de ce monde. Les trésors laissés sont nombreux, comme les promenades qui longent l’océan de l’Hôtel du Palais jusqu’à La Côte des Basques. La Chapelle Impériale au style roman, byzantin et hispano-mauresque classée monument historique. L’ancienne gare de la ville rendue célèbre par les nombreux passages du couple impérial. Et les biarrots le lui ont bien rendu : en guise d’hommage, ils ont donné son titre, Impératrice, au nom d’une avenue située en plein centre-ville.
Plus personne ne scrute l’horizon, les baleines ne sont plus là de toute façon et aucune Impératrice ne trempe encore ses jupons dans l’océan, mais demain matin Biarritz se réveillera au son des vagues, la mine mauvaise, avant de dévoiler son éclatante beauté. Comme hier, comme aujourd’hui et pour l’éternité.