Une ville toute neuve sortie des sables. Une architecture excentrique résultant du séjour régulier de grandes fortunes entre ses murs. Un mélange de vents purs et d’eau marine vivifiante. Bienvenue à Arcachon.
Heri solitudo, hodie vicus, cras civitas
À l’origine d’Arcachon, il y du sable, beaucoup de sable, et aussi des arbres, beaucoup d’arbres. Un peu de vase, des coquillages, du vent et quelques rares cabanes tchanquées sur l’océan servant de repères aux pêcheurs du coin. Un quasi désert en somme. Pour y percevoir un quelconque potentiel urbanistique il fallait être fou ou riche. Ou les deux. Les frères Pereire sont faits de ce bois-là. Banquiers de leur état, Emile et Isaac, fondateurs de la Compagnie des chemins de fer du Midi qui avait déjà relié Bordeaux à la Teste, étirent la ligne vers le nord jusqu’à la pointe du Bassin, traversant alors le quartier encore sauvage d’Arcachon.

Un projet ferroviaire et commercial qui ne connait pas un succès flambant, ce n’est rien de le dire et encore moins de l’écrire. Les deux frangins obstinés par la réussite de leur idée poussent alors en direction du tourisme estival et thermal. Le climat du coin est un atout dont ils ne se privent pas pour communiquer. Le vent qui vient des terres se charge en balsamique en effleurant la forêt de pins des Landes, tandis que le souffle qui vient de l’Atlantique a parcouru des milliers des kilomètres se retrouve bourré d’iode. Ce cocktail de vents rend l’air si pur, raconte-t-on, qu’il soulage les poitrines souffreteuses et guérit même les malheureux tuberculeux.
Un luxe, essentiellement estival, dont profitent d’abord de grandes fortunes européennes qui viennent s’installer sur les bords du bassin et bâtissent à leur guise des somptueuses demeures à leur image. Par ici, des villas à l’architecture baroque, inspirées de la Suisse ou de l’Allemagne, par là des références mauresques et même chinoises. En plus de fournir un air bon à respirer, la mode des bains de mer, insufflée par l’impératrice Eugénie qui séjourne alors à Biarritz, permet à Arcachon de troquer son statut de petit quartier sauvage pour devenir une coquette ville à part entière. L’affaire est officialisée le 2 mai 1857 par un décret impérial de Napoléon III, son premier maire, Alphonse Lamarque de Plaisance, en inventa alors la prémonitoire devise : « Hier désert, aujourd’hui village, demain cité » soit Heri solitudo, hodie vicus, cras civitas.
Le patient, s’étant baigné tout l’été, ne se trouva pas dépourvu quand la bise fut venue
Quatre quartiers sont érigés à Arcachon, qui devient alors la Ville des quatre saisons. Sous l’impulsion des frères Pereire, la Ville d’Été voit le jour au tout début du XIXè siècle. Dès 1823, l’aventurier assagi, François Legallais construit le premier établissement touristique sur la plage d’Eyrac : Le Grand Hôtel. Idéalement placé en front de mer, ce quartier grandit à mesure de l’essor des bains de mer vivifiants. Le succès de ces derniers modifie le paysage à vue d’œil. A l’instar de la Villa Eugénie de Biarritz, les bâtisses sont gigantesques et leurs terrasses suffisamment proches du rivage pour se voir tranquillement effleurer par l’écume, sans jamais toutefois être inondées. Les nobles, les célébrités, les princes du Second Empire mais aussi les touristes s’y pressent pour profiter des bienfaits de l’eau marine.
Alors que les pêcheurs n’ont pas encore perdu la bataille qui les oppose aux riches et puissants, ils abandonnent petit à petit le littoral pour trouver refuge dans le quartier de la Ville d’Automne autour du port. Dans ce quartier qui porte haut les couleurs de la pêche et du nautisme, leurs cabanes traditionnelles et les odorants filets qui sèchent aux alentours contribuent à leur manière à l’attractivité croissante d’Arcachon. La Ville de Printemps héberge une drôle d’histoire, celle de la source des Abatilles. On raconte qu’en 1923, Louis Lemarié, un chercheur de pétrole creuse si profond à plus de 400 mètres qu’il découvre la source exceptionnellement pure Sainte-Anne des Abatilles. Malmenée par l’histoire, la source thermale exploitée à partir de 1925 est reconnue par le corps médical pour ses qualités thérapeutiques. Reprise en 2013, ses bouteilles élégantes sont devenues les ambassadrices d’Arcachon, notamment chez Lipp à Paris.


Styles d’hiver et variés
Le quartier le plus mythique reste celui de la Ville d’Hiver, juché sur la dune surplombant la ville. Faisant face au départ des grandes fortunes une fois l’été consumé, les frères Pereire, en promoteurs immobiliers avisés, décident d’allonger la durée de vie de l’attractivité d’Arcachon en bâtissant dès 1862, un quartier dont le traçage des ruelles en courbes le place à l’abri de l’engouffrement du vent. Coup de maître, la clientèle aisée y vient pour se prémunir du froid et profiter des vertus thérapeutiques du climat. « L’air d’Arcachon a sûrement quelque chose de bénéfique, puisque quand le vent est à l’ouest il a parcouru des milliers de kilomètres sur l’océan donc il s’est chargé en iode. Et lorsque le vent arrive de l’est, il a parcouru la forêt et il s’est chargé d’effluves dites balsamiques ou térébenthinées, qui sont très bénéfiques pour les poumons ».
Véritable réussite, le quartier, représenté par son monumental Casino Mauresque, sera le point de ralliement de l’Europe entière. C’est le début d’un essor sans précédent. La Ville d’Hiver devient alors un haut-lieu de villégiature pour curistes et convalescents. Aux immenses bâtisses de la Ville d’Été en contrebas, s’ajoutent alors dans les hauteurs d’Arcachon près de 300 villas aux styles flamboyants mais tellement différents. Du néo-classique à l’art déco, selon les goûts des riches propriétaires, une rapide balade dans les rues courbées de la Ville d’Hiver est un véritable voyage architectural dans l’excentrisme du XIXè siècle. À y perdre ses repères.
Aujourd’hui, les propriétaires de villas, qu’ils soient d’Hiver ou d’Été, perpétuent l’esprit qui a fait ce qu’est Arcachon. Car, finalement, il y a toujours du sable beaucoup de sable, et aussi des arbres, beaucoup d’arbres. Un peu de vase, des coquillages, du vent et quelques cabanes tchanquées. Arcachon a encore de belles saisons devant lui.