Nichée fièrement au cœur d’un littoral ciselé, façonnée à l’infini par les vagues et les marées, reconnue pour la richesse marine de sa faune et de sa flore, la cité corsaire de Roscoff est l’éternel berceau de la thalassothérapie. Plongée dans les ruelles d’un village entre morceaux d’Histoire, commerce du lin et Johnnies.
Quand Johnny a eu l’idée
Ils débarquent en juillet puis repartent en novembre, les cales vides et les poches pleines. Durant des mois, ils arpentent les routes anglaises, d’abord à pied, ensuite à bicyclette et enfin en camion, mais toujours le sourire bien accroché et des kilos d’oignons parfumés en tresse sur l’épaule. Eux, ce sont les Johnnies, petits marchands bretons de légumes tout droits débarqués de Roscoff où l’oignon rosé est une merveille reconnue dont raffolent leurs voisins britanniques. Selon la légende, les premières graines, ramenées du Portugal, furent semées au XVIIème siècle par un moine capucin dans les jardins de son couvent à Roscoff.
L’histoire commence véritablement en 1828, lorsqu’un jeune paysan roscovite répondant au nom d’Henri Ollivier embarque depuis le port de Roscoff sur une gabarre pour rallier la Grande-Bretagne avec la ferme intention d’y commercer l’oignon. La suite est un succès pour le premier Johnny de l’histoire et la culture de l’oignon rosé de Roscoff devient alors emblématique. Ainsi, pendant plus d’un siècle, ils sont des centaines chaque fin d’été à marchander leurs légumes outre-Manche et colporter la bonne réputation de ce petit bout de terre française qu’est Roscoff. Là-bas ces briseurs de sonnettes sont surnommés les Johnnies – littéralement les « Petits Jean », Yann et Yannick étant des prénoms bretons très usuels – par les frénétiques acheteurs anglais. Après avoir connu son apogée pendant les années 1930, ce commerce déclina rapidement avant de s’éteindre doucement. Aujourd’hui, l’oignon rosé de Roscoff bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée et il est même possible de visiter La Maison des Johnnies, afin de se replonger dans les folles heures d’une épopée formidable.
La richesse du lin a fait le bonheur des autres
Bien avant de fleurir grâce au commerce de son trésor rosé, Roscoff a toujours su profiter de sa situation géographique exceptionnelle. Faisant face à la mer depuis l’éternité, la petite cité de caractère s’est muée tour à tour en place forte, en point de départ des batailles navales face aux anglais et surtout en lieu de passage obligatoire de la route du lin au XVIème siècle. A cette époque, le port de Roscoff prospère rapidement grâce à l’importation chaque hiver de Libau en Courlande, des graines de lin récoltées au milieu de l’été en Lituanie et choisies exclusivement par la manufacture toilière des crées du Léon[1].
La blancheur de cette toile de lin était appréciée pour tisser du linge et sa régularité pour fabriquer des voiles. Ainsi, via le port de Morlaix, les toiles étaient exportées sur toute la façade Atlantique, d’Angleterre au Portugal en passant par Séville et Bilbao. Roscoff est alors une place forte du commerce de lin en Europe et son architecture en témoigne encore ostensiblement aujourd’hui avec notamment les belles maisons d’armateurs aux superbes façades de pierres, les enclos paroissiaux ou l’église, bâtie au XVIème siècle, qui arbore un superbe clocher Renaissance formé de clochetons à colonnettes. L’édifice de style gothique flamboyant porte sur sa façade trois caravelles sculptées.
Mer et santé, les vieux amis
De la mer, Roscoff a su s’inventer un futur lorsque le commerce maritime a commencé à décliner. Il faut dire que sa situation géographico-naturelle est idéale et ferait rougir n’importe quelle autre station balnéaire. Ici, dans un mouvement perpétuel, la mer se donne en spectacle, chaque jour, un ballet parfaitement orchestré par les marées. Basse, elle dévoile l’estran, tout un univers à découvrir. Haute, qu’elle soit lisse, agitée ou en colère, elle offre la mise en scène d’une nature luxuriante. Reconnue pour ses embruns iodés et la douceur d’un climat maintenue par un étrange courant marin qui ne varie qu’entre 8 °C et 18 °C, la cité de Roscoff fait naître en 1899 le tout premier centre de la thalassothérapie français. L’Institut Marin de Rockroum voit le jour sur une plage de sable dominée par un « rocher bossu » (roc’h roum) fondé par le jeune Docteur Louis-Eugène Bagot.
La mer et la santé, c’est l’un des plus vieux couples de l’histoire de l’humanité. Les Égyptiens furent les premiers à reconnaître les vertus thérapeutiques de l’eau de mer. Hippocrate, Platon et Aristote en conseillaient vivement l’usage en bains chauds. Ensuite, les Romains inventèrent la pélothérapie, autrement dit : les bains de boues à partir de sédiments extraits du fond des lacs marins. Historiquement, c’est en 1869 que le mot « thalassothérapie » fut créé par le Docteur Joseph de La Bonnardière. Il associa tout simplement deux termes grecs thalassa, la mer, et therapeia, le soin. Les premiers établissements de bains de mer chauds furent créés à Dieppe en 1822, à La Rochelle en 1827 et Cherbourg en 1829.
En 1835, l’Académie de médecine assimilait alors l’eau de mer aux eaux thermales. Dans les années 1890, un jeune médecin, le docteur Bagot, s’aperçoit que ses patients, pour beaucoup des agriculteurs de la zone légumière de Saint-Pol-de-Léon, sont perclus de douleurs articulaires et de rhumatismes qu’il arrivait à soulager en les plongeant dans de l’eau de mer chaude. En 1899, le premier centre de thalassothérapie en France accueille ses premiers patients… Fermé en pleine Seconde Guerre Mondiale en 1941 à la mort du Dr Bagot, l’Institut Marin de Rockroum rouvre en 1953 sous l’impulsion de son fils René, et ouvre une nouvelle voie à la cinquantaine de centres de thalassothérapie que compte aujourd’hui le littoral français.
Aujourd’hui, Roscoff fait office de destination incontournable du bien-être à la française, et les touristes ne se trompent pas, la population de la petite cité de caractère passe de 4 000 à 20 000 habitants pendant l’été. Forgée par la mer dans la tradition des cités littorales de Bretagne, baignant tranquillement dans un climat iodé et croquée par son histoire commerçante, Roscoff s’offre sous de multiples visages où les desseins de son passé côtoient gracieusement les contours de son présent.
[1] Le Léon ou pays de Léon, bro Leon en breton, est une ancienne principauté de Basse-Bretagne, patrie des Léonards, Leoniz en breton. Il forme la pointe nord-ouest du Finistère, dont Brest, avec plus de trois-cent-mille habitants, est aujourd’hui l’agglomération principale.